Parler de Daft Punk en se limitant à leur musique, c’est ne voir que la partie émergée de l’iceberg. Car Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ont été bien plus que des musiciens ; ils ont été des créateurs de monde, des architectes d’un mythe moderne où le son et l’image sont indissociables. La pierre angulaire de cet édifice est sans conteste leur décision radicale, au tournant des années 2000, de dissimuler leurs visages derrière des casques de robots. Ce geste, loin d’être un simple gimmick marketing, est un acte artistique fondateur. Il leur permet de contrôler totalement leur image, de mettre la musique au premier plan et de créer une aura de mystère fascinante à l’ère de la surexposition médiatique. Le style daft punk est né de cette volonté d’anonymat : un style total, qui englobe la musique, la mode, le cinéma et une philosophie de la discrétion. Les robots ne sont pas des déguisements, ils sont des personnages, des alter ego qui vivent leur propre histoire. Cette narration prend tout son sens avec le projet “Interstella 5555: The Story of the Secret Star System”, un film d’animation japonais réalisé par le légendaire Leiji Matsumoto, qui sert de long clip vidéo à l’intégralité de l’album “Discovery”. Le duo transforme son album en un space opera, une œuvre d’art totale qui fusionne la “French Touch” et l’esthétique manga.
Cette approche conceptuelle et visuelle a irrigué toute leur carrière. Leur propre film, “Daft Punk’s Electroma” (2006), est un long-métrage expérimental et muet qui suit la quête d’humanité de deux robots. C’est une œuvre aride et poétique, qui explore les thèmes de l’identité et de l’aliénation, au cœur de leur projet artistique. Leur participation à la bande originale du film “Tron: Legacy” (2010) n’est pas un hasard : leur univers rétro-futuriste, inspiré par la science-fiction des années 70 et 80, s’intègre parfaitement à l’esthétique cyberpunk du film. Ils y font même une apparition en tant que DJ dans un club virtuel, brouillant une fois de plus les pistes entre fiction et réalité. Leurs rares apparitions publiques, toujours casqués, sont des événements en soi, méticuleusement mis en scène. La cérémonie des Grammy Awards en 2014, où ils apparaissent en blanc immaculé aux côtés de Pharrell Williams et Nile Rodgers, reste un moment de télévision iconique.
- La Mythologie de l’Anonymat : Les casques sont plus qu’une protection, ils sont une déclaration. Ils critiquent le culte de la célébrité et permettent à l’auditeur de se projeter, de se concentrer uniquement sur l’expérience sensorielle de la musique.
- La Narration Cinématographique : En créant des films ou en associant leur musique à des univers visuels forts, ils ont prouvé que la musique électronique pouvait raconter des histoires complexes et émouvantes, bien au-delà du dancefloor.
- Le Rétro-futurisme Esthétique : Leur style visuel est un mélange unique d’influences, allant de “2001, l’Odyssée de l’espace” au design des synthétiseurs vintage. C’est une vision du futur telle qu’on l’imaginait dans le passé, empreinte de nostalgie et de technologie.
- L’Art de la Collaboration : Le choix de leurs collaborateurs (Julian Casablancas, Giorgio Moroder, The Weeknd) n’est jamais anodin. Chaque featuring est une rencontre entre deux univers, une manière d’enrichir leur propre son et de rendre hommage à leurs héros.
En se séparant en 2021, le duo a mis un point final à une œuvre complète et cohérente. Ils laissent derrière eux non seulement des albums légendaires, mais aussi un univers visuel et conceptuel d’une richesse inouïe, qui a durablement marqué la pop culture et prouvé que l’on pouvait atteindre un succès planétaire tout en restant maître de son propre mythe.